AIMÉ CÉSAIRE

 

par Jean-Paul Giraux

 

 

 

      Et c’est un Noir qui est non seulement un Noir, mais tout l’homme, qui en exprime toutes les interrogations, toutes les angoisses, tous les espoirs et toutes les extases et qui s’imposera de plus en plus à moi comme le prototype de la dignité.

André BRETON

 

 

 

     Nègre il est né, Nègre il s’est revendiqué. La rue d’Ulm, l’agrégation de lettres classiques, le professorat à Fort-de-France (au lycée Victor Schœlcher), les ors de la République ne pouvaient rien y changer. Mais Nègre-marron. Pas catholique. Rebelle.

     A l’automobiliste parisien qui entendait l’insulter en le traitant de petit nègre[1] comme à tous ces petits blancs dont le mépris ou la condescendance s’autorise des problématiques bienfaits de la colonisation, il répond : “ Le petit nègre t’emmerde ”.

     Il le dit comme ça et aussi autrement, car cet Homme, ce Nègre “ fondamental ” est un grand poète qui, en dépit des adeptes plus ou moins obscurs de la “ créolité ”, nous a fait l’honneur – le grand honneur – d’écrire sa révolte en français, de pousser dans une langue superbe, à la fois incantatoire et prophétique, “ le grand cri nègre qui ébranlera les assises du monde ” :

 

[...] ma négritude n’est pas une pierre, sa surdité ruée contre la

 clameur du jour

 ma négritude n’est pas une taie d’eau morte sur l’œil mort

 de la terre

 ma négritude n’est ni une tour ni une cathédrale

 

 elle plonge dans la chair rouge du sol

 elle plonge dans la chair ardente du ciel

 elle troue l’accablement opaque de sa droite patience...

Cahier d’un retour au pays natal.

 

     Ce cri, le cri de celui qui “ habite une blessure sacrée ”, on ne l’enfermera pas au fond d’une crypte. Il s’élève sur le socle ô combien douloureux d’une histoire de plusieurs siècles. Il sera, éclatant, la mauvaise conscience de ceux qui se refusent à la fraternité humaine :

 

 Partir.

 Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-

 panthères, je serais un homme-juif

 un homme-cafre

 un homme-hindou-de-Calcutta

 un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas

 

 l’homme-famine, l’homme-insulte, l’homme-torture

 on pouvait à n’importe quel moment le saisir le

 rouer

 de coups, le tuer – parfaitement le tuer – sans avoir d’excuse

 à présenter à personne

 un homme-juif

 un homme-pogrom

 un chiot

 un mendigot

 

 mais est-ce qu’on tue le Remords, beau comme la

 face de stupeur d’une dame anglaise qui trouverait

 dans sa soupière un crâne de Hottentot ?

Cahiers du retour au pays natal

 

     Quand il est mort le poète, tous les amis, tous ses amis, ses vrais amis pleuraient. Les autres, ils faisaient semblant ou bien ils ricanaient lourdement dans les coulisses, offusqués par une ferveur qui les couvre de son ombre flamboyante.

                          

                                                                                               Le 25 avril 2008                                                  

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Œuvres poétiques d’Aimé Césaire :

Cahier d’un retour au pays natal 1939, Présence africaine

Les Armes miraculeuses 1946, réédition Gallimard en 1970

Soleil cou coupé 1948, éditions K.

Corps perdu 1949, éditions Fragrance

Ferrements 1960, Seuil

Cadastre 1961, Seuil

Moi, laminaire 1982, Seuil

La Poésie 1994, Seuil



[1] Propos recueillis par Francis Marmande, Le Monde du 17/03/2006