Chaque dossier consacré par un auteur comprend, outre une minie-anthologie de ses textes, un article qui le présente. Ici, l'étude de Silvaine Arabo sur Guy Chambelland, dans le numéro 16.
Chaque dossier consacré par un auteur comprend, outre une minie-anthologie de ses textes, un article qui le présente. Ici, l’étude de Silvaine Arabo sur qui Chambelland, dans le numéro 16. GUY CHAMBELLAND: contre l'histoire pour un univers “poématique”
Par Silvaine Arabo

C’est en 1974 que je rencontrai pour la première fois Guy Chambelland. J'étais à l'époque à la recherche d'un éditeur sérieux -qui bien entendu ne fût point Gallimard... sourire- et pour la poésie trois "petites" maisons avaient à l'époque ce que l'on appelle la cote : Oswald, Rougerie et Chambelland. Il y avait aussi Millas-Martin...
²Jeune et pas d'expérience. Je n'avais à l'époque publié qu'un seul recueil, sept ans auparavant, comme qui dirait "au radar".
Je considérai les noms (ben oui, c'est ça les poètes). Chambelland sonnait bien. Voilà mon manuscrit expédié. La réponse, à ma grande joie, ne se fit pas attendre. Brève mais précise. (1'allais devenir une familière de cette écriture quasi calligraphiée, de son encre noire, de ces traits rageurs... sur papier ivoire : c'était un esthète!) Le recueil s'appelait Interligne et on me donnait le feu vert pour édition. Je me rendis donc à Paris pour signer mon contrat et surtout pour voir un peu mon bonhomme. Guy Chambelland louait alors en galerie un local situé au coeur du Marais, rue Sainte-Croix de la Bretonnerie. L'accueil fut chaleureux... surprenant même : je (à l'entendre) 'cliquetais" de bijoux (bof!), il me le fit remarquer (ah les femmes!). Poursuivant que, somme toute, la poésie c'était quand on donnait tout, en un mot (il sourit) "mettre ses colombes sur la table". Je n'en avais pas... Il constata que j'appartenais malgré tout à la grande famille, il en était certain (ouf!), puis son entretien glissa sur "un poète de génie: le grand Yves Martin (1)... Vous connaissez?"
Décidément pas de chance : je n'avais pas de colombes et je ne connaissais pas Yves Martin! Cela prenait un mauvais tour... Il se voulut une fois de plus rassurant et m'expliqua que, assurément, j'avais atteint en poésie ma vitesse de croisière (qu'est-ce qu'il en savait?) et que "c'était bien oui vraiment bien" (pas contente!).
J'ignorais encore que ce colosse a moustaches, là, devant moi, allait devenir, malgré son caractère difficile et ses "coups de gueule", un de mes amis les plus généreux et les plus fidèles. Interligne ne fut jamais publié et se contenta d'obtenir un "Grand Prix de la Poésie 74" quelconque... Voici pourquoi lui ayant entre temps - "pour avis" avais-je très clairement précisé - envoyé mes derniers poèmes, je reçus deux mois plus tard et à ma grande surprise, un télégramme ainsi libellé : "Envoyer titre toute urgence. Recueil prêt à imprimer." Il n'en avait donc fait qu'à sa tête. Promontoire allait voir le jour. Inattendu... mais bon! Dommage pour Interligne... Voilà la première rencontre et basta pour la biographie! Si je cite ces anecdotes, c'est qu'évidemment elles permettent de situer le personnage et de mieux comprendre sa dimension humaine : Chambelland était l'homme de tous les contrastes. On l'aimait ou on le détestait... mais on ne peut nier la place qu'il occupe et ce qu’il représente pour la poésie française de la deuxième moitié du vingtième siècle. C'est de Chambelland poète dont j'aimerais vous entretenir aujourd'hui, non pas de l'éditeur, de l'infaillible dénicheur de talents : on a, et à juste titre, beaucoup glosé sur lui (surtout ses ennemis - son franc-parler et son Anarque lui en ont valu des hordes...). On l'a même accusé (et lui qui était homme d'honneur ne s'en est jamais remis) d'exploiter les poètes en faisant du compte d'auteur... Mais qui, dans cette société et à moins d'être un mécène, accepte d'éditer des inconnus à compte d'éditeur? Pas même les grandes maisons qui, elles, avec leurs bénéfices, le pourraient! Et ailleurs, dans les petites maisons courageuses où l'on persiste à éditer de la poésie, il y a toujours, et c'est bien normal, une formule qui permet de récupérer un peu d'argent, même si l'appellation n'est pas "compte d'auteur". Il faut bien que chacun vive et récupère en partie l'argent investi. Que ferait donc en l'état actuel des choses le malheureux inconnu -poète de surcroît-si l'on proscrit définitivement le compte d'auteur? (dont je ne fais certes pas l'apologie, qui n'est qu'un triste pis-aller... mais qui révèle bien l'intérêt et J'aide substantiels que les pouvoirs publics accordent à la littérature et particulièrement à la poésie...). Quelle solution? Ne pas éditer du tout? Ni les grandes maisons d'édition ni l'État ne tendront spontanément la main à un illustre inconnu... de talent, s'entend, Pour de multiples raisons sur lesquelles je ne m'étendrai pas ici, toute la machine est grippée, on le sait bien.) Il faut dire aussi, et cela montre le souci qu'il avait de ses auteurs, que Chambelland avait mis au point un système tel qu'en vendant par souscription leurs exemplaires de tête les poètes rentraient dans leurs fonds. Pas Si mal. Pour ma part, avec ce mode de fonctionnement, je n'en ai jamais été d'un sou de ma poche pour une édition chez Guy Chambelland, Il y aurait certes beaucoup à dire sur cet éditeur et sur l'immense travail qu'il a accompli, parfois au détriment de sa propre création, sacrifiée par manque de temps... Comme il l'écrit lui-même dans Barocco Metrico

"Ces 66 poèmes, chiffre de mon âge alors, ont été écrits après plus de 15 ans de silence (poétique) dû au fait qu 'on ne s'occupe ja mais impunément des autres; à savoir pour mon cas, que le poète éditeur se fait fusiller par ses propres poètes."

A l'une de mes "signatures" il me confia qu'il avait le sentiment d'avoir raté sa vie... Je n'en revenais pas! Lui qui avait dévoilé tant de talents inconnus, lui à qui la poésie devait tellement! (Sans parler de son travail de "pro" : éditions sur papier ivoire ou chiffon, illustrations originales des exemplaires de tête c'était un travail d'orfèvre, de bibliophile, de compagnon au sens du Moyen-âge... ce Moyen-âge littéraire dont l'éthique le fascinait au point qu'il avait appelé sa revue Le Pont de l'Épée puis Le Pont sous l'eau magnifique revue dont Gaston Bachelard devait dire qu'elle était sans doute "Une des meilleures revues françaises de poésie"... et il savait de quoi il parlait, Bachelard, en ce domaine !). Oui, on pourrait écrire des pages et des pages sur Guy Chambelland éditeur, sur l'atmosphère chaleureuse de ses signatures au cours desquelles, en solide Bourguignon qu'il était, il faisait généreusement sauter les bouchons des bonnes bouteilles. Il y avait une "atmosphère" Chambelland. Et elle était unique. Si l'on a souvent évoqué l'éditeur, on a nettement moins parlé de Guy Chambelland poète. Pourtant il laisse derrière lui une oeuvre fournie, majeure, remarquable par son originalité. "Être poète était pour lui une manière d'exister", me dit sa fille Charlotte, lors de l'interview qu'elle m'accorda amicalement pour mon site internet. Et de dénombrer trois thèmes essentiels et récurrents dans l'oeuvre de son père : amour, mort (son duel opposé) et poésie : pointe du triangle, dépassement du couple duel, anti-mort.
Guy Chambelland a en effet beaucoup chanté la femme : il l'aime sensuelle, "salope" (comme il le souligne luimême), charnelle en diable, un peu comme Baudelaire les aimait... à la fois damnation de l'homme, parachevant une chute déjà marquée du sceau de l'incarnation (sans connotation chrétienne chez Chambelland), mais aussi salvatrice, fil d'Ariane dans un labyrinthe décidément bien ennuyeux, materia prima de la véritable alchimie : celle qui présidera au temps du poème. Cette manière ambiguë de traiter la femme se retrouve absolument partout dans l'oeuvre de Guy Chambelland. Écoutons-le parler sous la plume de Jean Sannes (l'un de ses pseudonymes avec Edmond Carle)

"Passé le spasme, elles (1es femmes) ne valent que par ce qu'on en écrit, et les plus grandes font qu'on se tait"
(in Mes mots, Des Femmes, Édit. Le Pont sous l'Eau)

ou encore

"Ainsi, dans ce jour d'hiver finissant, à contre-ciel
de la lumière terne prise dans les branchages désolés,
cette fille en bottes et chandail de grosse laine
(...) tiède sur la
neige salie, seule, hors l'histoire, charpente le poème."

in La Mort La Mer (Édit. Poésie-Club)

La manière crue, presque brutale dont il peint la femme lui a d'ailleurs valu une solide réputation de "macho". Très vite pourtant il nous éclaire


"Je tiens que la plus grande salope ne la sera jamais autant que le plus petit salaud de l'Histoire. Alors? Moi macho ?"
(In mes mots, Des femmes, le pont sous l’eau)

Eh Oui! Il dit, redit, se contredit... mais dit toujours la vérité, sa vérité, qu'elle soit celle du moment ou qu'elle appartienne à un ensemble temporel plus complexe et ambigu...

"balance
entre amour courtois et partouze ne peut choisir
exclure
l'unique la motivante la pure la liturgique
ni la foudre d'un cul montant la paire de couilles
contemplée par derrière un Meursault à la main
tandis que la seconde vient lui manger la verge
avec l'exquisivité d'une vierge aux raisins"

(in Mes Mots, Poèmes, Le Pont sous l'eau)

Tout Chambelland est là. Et son rapport à la femme, entre "putasserie" (mot qu'avec "putanerie" il affectionne) et "vierge aux raisins".
Parfois pointe la tendresse...

"Bonté beauté sources majeures
comment ne pas aimer la femme qui les dispense
même si lui manquera la force à les surseoir?"

(in Requiem pour une Femme Bleue, Le Pont de l'Épée)

Je ne sais plus qui comparait Chambelland à (je cite de mémoire)" Un seigneur, un reître du Moyen-Age”... C'est aussi un chevalier.

"Grand temps de te saluer
amour diminué mais pluriel
amour de la femme brute
qui ne va pas plus loin qu'un coït sur du neuf
seul lien aux dieux
qui sont sérénité splendeur fût-ce fumier sous rose
ou ne sont pas”

(Les Mots, Poèmes, le Pont sous l'eau)

Chambelland... entre âme et sexe. Tant convoité, "possédé", puis jeté comme impur et inapte à combler son besoin d'absolu. Somme toute, une fois le "coït" terminé reste la mort, non? Et même l'angoisse d'elle qui nous tient éveillés, vivants

"Comme j'avançais, maladroit, entre chiens et roses, entre femme et dieux, la mort me mit son bâton dans le corps.

On peut me voir.
Il me tient debout.
"
(in La Mort la Mer, Poésie-Club)

La mort est partout, chez Guy Chambelland, à chaque détour d'alcôve, à chaque coin de rue, toujours là où on l'attend le moins

"La mort, me dit-il, voici comment je la vois. Et il
filme en gros plan une tache au milieu du lit ouvert,
où il étend un petit soldat de plomb. Puis il fait sur
le mur un travelling interminable

" ("Le Cinéaste", in La Mort la Mer)

ou encore:

"La vie c'est comme cette promenade en ville avec
la femme qu'on aime. L'octobre est clair, les gens
flottent, il fait beau dans le coeur et dans les choses.
Mais soudain, il y a ce papier quadrillé collé sur
une porte .. "Évelyne, reviens. Papa est malade. Ton
ensemble est payé, tu peux passer le chercher".
Alors tout craque, l'amour n 'allume plus le visage
de l'aimée, le coeur patine, la mort seule nous tient
debout.
"

(in L 'oeil du Cyclone, Poésie-Club)

Pour Guy Chambelland seule la mort est véritablement réelle car tout sur terre n'est qu'illusion qui nous renvoie au triste constat notre néant

"Plus j'essaie d'exister je rêve.
Le chien que je caresse, dès que j'ôte la main
de son poil, est une cuisine vide.
(...)
je fais le soir l'amour avec des femmes que je ne
reconnais pas le lendemain.
(...)
J'écoute pousser en moi la racine de ma mort
"
(In L'oeil du Cyclone, Poésie-Club)

Il n'y a pas de Dieu dans le ciel de Chambelland, Sauf peut-être... cette menace invisible

"(...) quand je l'aime sous les pommiers, la rondeur
suspendue des fruits nous protège du dieu qui menace
dans les astres."

(in L'oeil du Cyclone, Poésie-Club)

Aucune mystique "théologique" chez lui, hormis celle de la Beauté (à laquelle il met une majuscule... mais oui!) : seule la Beauté fait être, immortalise, dans tous les sens du terme. Elle est selon lui fer de lance, seul lieu possible de l'alchimie : celui où l'on engendre ses dieux. Elle est l'anti-mort par excellence

“J'estime qu 'il est temps de redonner au mot Poésie son sens éthique (avant qu'esthétique) qui est: équilibre ravonnant de notre angoissante condition humaine... (...)Sans doute ne nous libérera -t-elle jamais entièrement de nos contingences; mais elle nous remplit de ce sentiment indéracinable que, quels que soient les murs qui nous cernent aujourd'hui, on peut de nouveau demain être libre. Qui ne fait cet acte de foi, qui ne réfute la malédiction, fût-elle réelle, est indigne du nom de poète. "
(In Je refuse Artaud, revue La Tour de Feu 63-64,1959. Texte communiqué à Charlotte Galvès-Chambelland par Jaquette Reboul)

Si du reste il affectionne tant le Bas Moyen-Âge c'est que, comme le souligne sa fille Charlotte (...)Le Moyen-Âge le faisait rêver. Faire rêver... c 'est aussi selon lui le “rôle colossal” de la poésie. Le Moyen-Age est poétique parce que la légende y est plus importante que l'histoire, et la poésie est elle-même "légende contre l'histoire." (Entretien de Charlotte Chambelland avec Silvaine Arabo sur l’internet)

Et Dieu est décidément bien ennuyeux de ne pas exister

Dieu que je cherche en vain"
(in Mes mots, Poèmes, Le Pont sous l'eau)

Ou encore

"Rien que pour moi Dieu se dérobe"
(La Mort la Mer, Poésie-Club)

Et de conclure finalement

"Le problème de Dieu n'est pas tant qu'il soit, ou pas, mais qu'il soit dicible ou non."
(Mes mots, D'une morale, Le Pont sous l'eau)

On en revient à son essentiel seule EST la beauté. C'est le "Principe d'Archîmerde", ainsi formulé

"Tout corps d'h istoire plongé dans ma légende subit une poussée latérale centrifuge au moins égale au poids de'l’emmerdement immergé" (Mes mots, d’une morale, id)

Et, avec l'humour grinçant qui le caractérise, il esquisse une "Distance de Dieu", du plus près au plus loin

"Musicien
Ange
Architecte
Chat
Peintre, poète
chien
mer/e
vache
femme
homme.
(in Mes mots, D'une morale, id.)

Oui, "(...) l'aile d'ombre des yeux dans la lumière des épaules comme dans les tableaux de Georges de la Tour" (L 'oeil du Cyclone) et la "rose de la Poésie" qui elle aussi tient debout, vivant, plus forte que la mort. Et pourtant il arrive que les mots soient "pipés"...

"Poésie qu 'ai-je dit du silence des dieux
les mots se font fumée se font nuit se font roses
que seul le chien dans son poil ne dérange Poème que te fais-je et quel vocabulaire
te meubla de m’avoir quand il me fallait t'être
"
(in Courtoisie de la Fatigue, Édit. Saint-Germain-des-Prés)

et

"Ah ah poète t'es bien
pipé plus qu 'aux quilles un chien"

(Courtoisie de la Fatigue,id)

Mais la quête poétique, Graal de Guy Chambelland a ceci de commun avec la quête chevaleresque à savoir que son objet sans cesse recule et se dérobe "Je suis celui qui n 'arrive pas
écrit-il dans un poème extrait de Limonaire de la belle amour (Édit. Saint-Germain-des-Prés). Parvenir au but serait le perdre... que serait donc un objet "possédé"? L'infini se situe précisément dans l'éloignement ou le constant renouvellement. Seul EST ce qui échappe à toute prise, à tout enfermement.

Une fois de plus toujours nouvelle
immémorialement neuve
je te salue poésie
" (Courtoisie de la Fatigue, id.)

La poésie tient lieu de Dieu. Elle lui ferait presque croire en lui

Le grand poète est pour moi celui qui avec les mots, autrement plus ingrats que les notes, fait croire à l'âme autant que la musique" (Interview d'Edmond CarIe par G.ChambeHand, in Ricercare, Le Pont sous l'eau)

On l'a vu : Edmond CarIe est l'un des pseudonymes de Guy Chambelland.

"Musique" Le mot est lâché On a noté plus haut quelle place il assignait à cet art dans l'échelle divine de son imaginaire : tout près de "Dieu". La passion de Guy Chambelland pour la musique surpasse peut-être celle qu'il voue à la poésie. Elle lui apparaît comme salvatrice. Définitivement. Encore que l'on pourrait trouver dans son oeuvre des propos qui contrediraient ceux-ci... Vérité d moment qui parfois le conduit à se contredire. Tout de même. Écoutons-le parler du Magnificat de Bach, Fecit potentiam: Il met en route sa mécanique, arithmétique des anges, de l'entre-deux. Puis il casse les voix, vous les fout aux tripes, vous fait plus homme qu'homme. A peine y êtes-vous qu'il remonte, toutes trompettes dehors, vous renvoie aux dieux, vous envoie en l'air. Et vous laisse tomber beauté que par la musique. Ah le salaud."
In (Les dieux et les mouches, éditions Saint-Germain-des-Prés)

Je ne me lassais pas, pour ma part, de l'entendre me parler de cette Messe de Nostre-Dame de Guillaume de Machaut qu'il me fit découvrir en 75. Il hochait la tête, souriait : "Cette messe? Divine? diabolique?"

J'ai l'intime conviction que seule la musique apaisait pour un temps - mais de façon absolue dans l'instant - cette âme tourmentée et assoiffée d'absolu.

"Si je mets le prélude et fugue en fa majeur de Bach, la misère est suspendue, si je mets les Gabrieli, la misère est suspendue. J'ai la beauté. " (Introduction au numéro 58 de sa revue)

Une fois encore la beauté joue contre l'histoire
L'histoire c'est une texture d'absurdité et de saloperies. La beauté c 'est l'illumination dans cette misère. " (id.)
"Son rapport à la musique comme à la poésie était éclectique" souligne sa fille Charlotte. S'il aime Machaut, il aime aussi Schubert (Charlotte se plaît à rappeler que La Truite fut l'un de ses premiers souvenirs musicaux, ainsi que La Jeune Fille et la Mort, quatuor du même Schubert); il aime Debussy et le Flamenco et le Jazz... Barocco Metrico, son recueil posthume, est dédié aux Gabrieli"Giovanni bien plus qu'Andréa" - et autres Monteverdi. Mais le constat demeure ame

"j'avais cherché comme un verger de mots
qui flamboyât au plus près de ses fruits
et je n 'étais que le novau du bruit
d'une douleur maquillée en rameaux
" (Barocco Metrico, Les Cahiers du Pont sous l'eau, 1996)

N'appelle-t-il pas dans Mes mots, D'une morale, à se défier de la musique?
"Se méfier de la musique: elle dit les héros et fait les gonzesses"

Et encore
J'ai essayé jadis un monde de mots
un univers poématique
(...) Dans l’illusion de la beauté
en une mythologie possible à vivre

(in Mes mots; Poèmes, Le Pont sous l'eau)

Il est vrai que Guy Chambelland n'en est pas à une contradiction près... sa pensée, subtile, mouvante, épouse souvent l'instant pour en restituer l'intime sensation : au fond il n'est pour lui de vérité que dans cet instant même. A ce titre, on ne peut lui reprocher ses "contradictions"... mais affirmer toutefois, et sans grand risque d'erreur, que l'art en général, parce qu'il transmue une réa-lité insupportable, est pour lui synonyme de salut.
Cette courte étude ne prétend évidemment pas être exhaustive, mais tente de tracer quelques lignes de force et propose des pistes de lecture aux personnes désireuses d'aller à la découverte de l'oeuvre complexe, chantournée, de Guy Chambelland... qui nous quitta un jour froid de janvier 1996, miné par la fatigue d'exister et par une tristesse incommensurable.
Souhaitons que la postérité lui rende enfin justice.