Récits 3  de Bernard Grasset – Editions Multiples – Collection fondamente – 10 €

Note de lecture par Philippe Biget

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  Sous ce titre générique, Bernard Grasset nous invite à partager ses rencontres avec des œuvres qui lui sont chères. En 46 courts poèmes, il dialogue avec quatre peintres ( Fra Angelico, La Tour, Kandinsky et Rouault ) et quatre compositeurs ( Schubert, Franck, Bach et Messiaen ). La simple énumération de ces noms laisse pressentir que l’échange avec de tels Maîtres est le signe d’une quête spiritualiste. La beauté non pas fin en soi mais vecteur de transcendance. Pour qui en douterait, la citation en exergue  extraite des Confessions d’un Augustin fraîchement converti explicite la démarche :   Tard je t’ai aimée, Beauté si ancienne, si nouvelle, - tard je t’ai aimée ! La lecture poétique proposée d’œuvres plastiques se révèle on ne peut plus classique. B. Grasset  commence par décrire la scène représentée ou évoquée par petites touches figuratives, puis en dégage progressivement le non-dit, l’ouverture vers un ailleurs. Ainsi, cette superbe relation du De profundis de Rouault :

Le regard s’est clos / Au pressoir de la vie, / Les mains étirées / Oublient le labeur. / Un chuchotement d’ombres / Va, vient dans le couloir. / La présence s’estompe / Sur le lit familier, / Un rayon de lumière / Entrouvre une porte. / Le Visage intense / Comble d’amitié.

L’abstraction du langage musical contraint le poète à libérer sa propre imagination en construisant une scène, un paysage, une vision qui cherche à transcender. Voici par exemple le sobre et profond poème que lui inspire le Quatuor pour la fin du temps de Messiaen :

Sur une branche de saule, / Demain tressaille, / Un rêve de liberté / Intensifie le regard. / Piano et violoncelle, / Simple rémanence, / Croisent le juste don / Plus haut que la mort. / Un pont de pierre / Enjambe l’obscurité, / La colline rougeoie / En nuée de silence.

  Même agnostique, le lecteur ne pourra rester insensible à la piété sous-jacente de B. Grasset tant son expression est discrète et se tient à l’écart de tout prosélytisme. Mais pourquoi son imaginaire reste-t-il cantonné à des scènes champêtres d’un charme paradisiaque parfois convenu ? Comme s’il rechignait à contempler cette part d’ombre que Fra Angelico et Bach ont su fixer droit dans les yeux. Si j’osais entrer dans la dialectique spirituelle de l’auteur,  je dirais qu’il pêche par manque d’incarnation, mais il est vrai qu’en la matière chacun voit midi à sa porte et le chroniqueur n’échappe pas à cette subjectivité.

 Mes impressions après relecture restent largement positives.  L’intérêt du livre réside principalement dans l’originalité de son propos, sa cohérence stylistique et l’émotion omniprésente sans  épanchements  excessifs ni fautes de goût.