Un nouvel auteur dans Poésie/première 26

Hélène Mohone est bordelaise. Elle vient de publier un premier recueil, le cœur cannibale, chez Willam Blake and co (BP 4 33037 Bordeaux) dont les poèmes suivants, reproduits avec l’aimable autorisation de l’éditeur, sont tirés. Une voix nouvelle et singulière, à suivre.

     1

                                                    petite

 

petite a senti triste si fugace a vu martin pêcheur oiseau-mouche colibri a cueilli papaye douce goyave et mangue timide presque tendre enfant à cloche-pied a lu grandes aventures de corsaires en mer de Chine  assise jambes humides dans la moiteur des siestes obligatoires pages blanches où rien ne s’écrit de vrai que du roman à grands fracas de l’histoire où bouge du bruit qui ne revient plus après que le livre s’est fermé et si inquiète pouce et bouche a tourné autour du nid comme un oisillon rongeur a trouvé écorces de cacahuètes sous l’arbre à singes grand babouin frondeur gueule de chien à dents coupantes gros rires mangeurs dans le calme du feuillage docile si petite jambes déjà trop grandes au corps de feuille déchirée presque verte sève écoulée sans rien pouvoir retenir renonce à dire flux interne l’histoire d’un abandon où chacun trouve sa place petite si malingre parle aux animaux un langage de muette petite écorchée caresse d’abeille et si réduite promène son singe à l’épaule épouillage de son amour fidèle signe de la main qu’elle fait tous les matins à ceux qui partent travailler derrière le carreau elle regarde toujours à l’écart  petite pomme verte le flux repoussant du travail humain.

2

Parfaitement

 

j'ai aimé un homme qui de mort m'a rendue abîmée pas de blessure ça saigne sans le sang sans que dite aperçue on puisse relever la trace on va dire il sait dire et savoir sans qu'on sente ce que l'homme fit j'ai aimé amoureuse un fier carnivore de mon corps jusqu'à dévoration de chair faite laissée abandonnée sale carcasse même pas ornée pas encore assez parée pour la danse des morts c'est son heure il pénètre le cadavre une dernière fois pas de fin sans y poser sa marque séminale il la regarde elle paraît artificielle effigie d'amour désincarnée en pesant elle s'effriterait il rallume de cesse le bûcher pour sûreté de bonne braise bien chaude à ses pieds de chinoise embaumée accompagnant compagne jusqu'au portail le tremblement mu ténébreux de ce corps furtif reconduit doucement par la servante apprêtée au seuil du domaine par la suivante maîtresse fournie docile esclave de seins oints habilement bus habilement sus seins naïfs offerts à convoitise de veau tétant le jeune mamelon pour le faire vieux de succion dévorante de grotesque boulimie à l'oeil de bête