POUR UNE HEURE INCERTAINE de Claude Cailleau, Editions Sac à mots, La Rotte des Bois 44810 LA CHEVALLERAIS, 12euros.

La beauté intérieure est revenue. Une beauté toute subjective et intense telle qu'on la lit rarement. Le poète Claude Cailleau nous initie à son univers que certains auront pu découvrir dernièrement dans des revues comme Encres Vives, Friches ou encore Poésie Première.

Notre écrivain a commencé par écrire de la prose, un roman et cette ligne narrative est restée en lui comme un chemin à suivre. Dans son dernier recueil, "Pour une heure incertaine", les proses narratives invitent le poète découvreur à chercher la naissance de l'écriture et donc son doute : « Pour une heure incertaine, entre silence et cri, les mots naissent, dociles, et flirtent avec la page. Jouent parfois à se perdre. Ta main tremble, indécise, à l'entrée de l’énigme. Le jour stagne muet. Tu dessines une route, et les maisons regardent cet homme qui passe, ouvrant des portes sur l'ombre, épuisant l'heure peu a peu. »

Mais quelle est donc cette heure incertaine que le poète porte en lui comme la courbure des instants mélancoliques ou comme un ennui contemplatif ? C'est l'heure de la mémoire du temps, une heure où le creuset de l'enfance refait surface pour interroger notre identité, notre capacité à voir, notre désir d'écrire peut-être aussi : « Tu pérégrines, aveugle, dans le dédale des paroles et le journal du temps - douloureuse mémoire. Le babil d'un ruisseau investit ta mémoire -  parole souterraine, mots de mort, racine. Tu avances vers ce qui sera un visage dans la coulée du souvenir. Ta voix qui se lézarde entame le calme de l'instant. La nuit écoute et toi, tu brasses tes cailloux lourds comme des sanglots, ceux qu'enfant tu semais sur tes routes naïves ».

Les phrases, les mots de Claude Cailleau font appel à chacun de nous, à cette heure incertaine qui peuple aussi notre mémoire et notre corps. Le doute devant la page blanche. La promenade au bord du rivage. La chaleur intérieure de l’hiver. L’écoute du vent. Laube des paysages ouverts. L’attente des jours. Le poète a le don par une phrase simple verbale ou nominale, limpide, d'accorder comme une gamme mélodieuse et parfois un peu mélancolique, son cheminement intérieur à l'espace-temps qui l'occupe : « C’est un matin de février. Ce jour-là ou un autre. Comme une mer sereine, les vagues du sommeil s'échappent de ton ciel, et les mots recommencent leur ronde folle dans ta tête. Un jour, tu en es sûr, tu te retrouveras, après avoir marché longtemps, dans le dédale de ton enfance. Et tu pourras enfin te regarder dans une glace, pour y voir celui que tu aurais tant voulu être. »

Et c'est ainsi que Claude Cailleau transforme son heure incertaine en une création qui nous interroge. L’écriture de notre poète est au coeur d'une poésie contemporaine en plein mouvement et qui est en train de se renouveler par une prose narrative et descriptive toujours inventive. Et surtout cette prose toujours au bord des choses qui nous entourent, avide de comprendre notre monde mais en s'interrogeant dans le silence, écrit au mieux la question que nous nous posons tous : pourquoi écrivons-nous ?

Le livre s'était ouvert sur un extrait du roman d’André Gide Paludes « avant d'expliquer aux autres mon livre, j'attends que d'autres me l’expliquent. Vouloir l'expliquer d'abord, c'est en restreindre aussitôt le sens » et se clôt sur des interrogations qui offrent une variation sans mesure sur le sens de toute écriture poétique : « Le silence étouffe tes mots. Quelle langue habites tu ? Ta voix creusée dans le lourd manteau de ['oubli, ta voix revendique migre soudain, s'arrête aux frontières d'un jour moribond. Et s'animent les mots qui dormaient dans la nuit profonde du passé. Mais où es-tu ? Qu'écrira-t-elle malgré toi cette main qui t’échappe sur le revers trouble du jour ? Ta vie bat dans le mot. Mais d'où vient-il ce mot, fragile appel surgi dans la complicité du soir ? Va savoir, va savoir. »

Ainsi, l'heure incertaine de Claude Cailleau a peut-être trouvé le chemin qui l'abrite : c’est cet instant qui nous réconforte lors que nous refermons un livre que nous avons tant aimé.

Ludmilla  PODKOSOVA