Michel-François Lavaur est une figure bien
connue du petit monde des poètes revuistes. Fourbissant sa revue Traces dans son lavauratoire
de Sanguèze, il a publié plus d’un millier de poètes
et entretient avec eux une correspondance nourrie. Lecteur attentif de la
poésie contemporaine, curieux des nouveautés, ouvert à de multiples champs
culturels, MFL est fidèle à « ses » poètes, dont beaucoup lui sont
fidèles (le sommaire de Traces,
toujours très fourni, présente avec constance le travail des poètes amis tout
en restant ouvert aux nouveaux venus).
Lavaur est aussi un créateur
(qu’il me pardonne ce mot prétentieux) dont l’œuvre multiforme (d’écrivain, de
dessinateur, de mail artiste, de sculpteur…) ne peut être séparée du travail de
revuiste, comme le suggère la prière à l’abeille d’Argos :
« Ouvrière, apprends-moi la ruche du travail, la fraternité de la
colonie, l’agir communautaire. Pas le sectarisme. […]
Apprends-moi cet orgueil : n’être rien mais laisser après moi
les bons fruits d’une chimie secrète et pourtant responsable ».
Le poète Lavaur a été publié par de très nombreuses
revues ; il est l’auteur de multiples recueils (dont son chef-d’œuvre Argos), plaquettes, fascicules, figure
dans de nombreuses anthologies. Son travail est pourtant moins connu qu’il ne
le mériterait. Son écriture est multiforme : il pratique le vers et la
prose poétique, le texte long et, de plus en plus, le poème bref apparenté au
haïku. Ce qui fait son unité, c’est peut-être l’attention qui permet de saisir
les rencontres inattendues (c’est aussi un de ses talents de revuiste que de
faire voisiner des textes dissemblables entre lesquels peuvent cependant
s’établir des échanges). Il peut s’agir de rencontres verbales (aucun calembour
ne l’effraie !) ou de trouvailles du regard que le travail du poète ou de
l’artiste permet de partager :
« Tout y est : le cou, le long museau,
les deux oreilles, et surtout la corne, longue et torsadée plus que défense de
narval.
C’est tout le travail d’une liane
autour d’un jeune châtaignier, pendant presque une décennie de lutte entre deux
plantes.
Couper. Tailler, polir, après qu’un
long séchage ait raffermi la chair de l’arbre, et je l’ai ma tête de licorne. »[i]
L’œuvre
s‘enracine dans les terroirs ruraux (de Corrèze et du Limousin, du Quercy, puis
de Bretagne) où le poète a vécu depuis son enfance, mais ne s’enferme pas dans
ces chemins creux de la mémoire[ii].
Elle est le travail d’un humaniste qui tâche d’être librement. Son projet,
c’est de « vivre en poésie. Pas une
religion, ni une science. Seulement la présence consciente et l’écoute
attentive, avec le faire pour recueillir et conserver le fugitif. Et le projet,
non d’un moralisme, mais d’une morale, au sens premier : quelles mœurs
adopter pour exister en harmonie, agir en symbiose avec mes commensaux, mes
prédateurs et mes proies ». Lavaur écrit avec les animaux, les objets
de tous les jours. Il n’en fait pas des symboles qui renverraient à un autre
monde, plutôt des notes auxquelles le poète ajoute la sienne pour éveiller
(faire naître ?) une harmonie immanente. Contes et bêtes légendaires peuvent
traverser le texte, mais si le poète en joue il n’est pas dupe de sa fiction et
ne s’en sert pas pour produire de la « fausse monnaie » spirituelle.
Il est au contraire le « désenchanteur »
qui révèle le vide à l’envers des mots, utilise la surprise d’une chute
imprévue pour aviver la présence du monde.
« Bref et
sans truquage
un haiku précis comme
un gag de keaton ».
MFL
est le facteur (fondateur, animateur, directeur, rédacteur, illustrateur,
éditeur, manufacteur, ...) de la revue et des
éditions TRACES.
Né
en 1935 dans la Poste de Saint-Martin-La-Méanne (19),
il est l’auteur de textes (vers, proses,...) français et occitans (limousins)
et de dessins.
A
publié :
ARGOS
1(TRACES 1969), ARGOS 2 (PLEIN-CHANT 1973), ARGOS
3(TRACES 1974), ARGOS 4 (TRACES 1978), ARGOS 5(TRACES 1984), ARGOS Vl (Le Pavé, 1984) - reprend les précédents –, ARGOS Vll (TRACES 1991), ARGOS VIII (avec ARGOS VII, complète
Argos VI), TRACES 129 (1998)
Autres
titres à TRACES :
MASQUE
ET MIROIR (1964) ; PETITE GESTE POUR UN HOMME NU (1971) ; AUBIAT (fr/occ.) 1972 ; LA CHIENNE DES
SABLES (dessins de
Ailleurs
:
JE
DE MOTS, propos autour de l’écriture, Le dé bleu (1978) ; CE CHEVEU D’ANGE, Littera (1991) ; L’ECUREUlL À GILLES, Le pré de l’âge (1992) ; RIEN QU’UN ZESTE, Franche lippée, Clapàs,
(1993) ; L’O DE GIOTTO, « A chemise ouverte » (1994)
;
MILLE
POETES, MILLE POEMES BREFS, antho., L’arbre à paroles
(1997) ; VUE CAVALIERE ET COUPE, proses, Franche lippée, Clapas, (1997)...
Consulter:
12 POETES 12 VOIES, "Friches"; POETES D'OCCITANIE, "Poésie
l", LES POETES DU QUERCY, G.Lades, ed.du Laquet... et quelque 40
anthologies, 250 livres et revues qui publièrent dessins et textes de MFL. On peut aussi trouver des sélections de ses poèmes à
partir de divers sites internet, que l’on découvrira
aisément à partir de http://jmr07.free.fr/MFL/MFL00.htm#smr
Contact :
Michel François Lavaur, Sanguèze, 44330 Le pallet
I
ARGOS (Traces,1998)
1
Quand
on tue le cochon,
(mais
cet indéfini c'est un homme, un tueur qui tient le couteau, tandis que d'autres
bras maintiennent la bête ; c'est une main sur quoi le sang gicle et coule ;
l'odeur et le cri de la vie qui sent l'agonie planter ses banderilles de
terreur dans le cœur même de ses énergies, diffuser son venin imparable,
jusqu'aux plus fins des capillaires, aux cellules secrètes)
quand
on tue le cochon c'est la mort tacitement apprivoisée, celle qui nourrit, sans
laquelle aucun choix n'est possible, nulle joie, espérance ou plaisir ne se
peut concevoir.
La
souffrance, la peur, la faim, la détresse suprême sont exorcisées par ce rituel
du cochon immolé dans une cour de ferme.
LE
COCHON
2
Celui
qui voit la petite écolière
cheminer
posément
dans
le matin glacé
n’aperçoit
que la sage
gamine
au cartable.
Il
dit : ses lèvres bougent !
A
qui parle-t-elle ?
Pourtant
l’enfant blonde
ne
marche pas seule.
PRINCE
NOIR l’accompagne
Invisible
et pour elle
plus
visible que les chiffres
et
les murs de l’école
il
va l’amble à sa suite.
Elle
tient par la longe
un
étalon sauvage
aussi
grand que la nuit.
Elle
nouera la corde
à
l’anneau de la forge
au
bout du préau.
Le
cheval l’attendra
jusqu’à
la fin des classes
PRINCE
NOIR (pour Chrystel, notre fille)
I
I VUE CAVALIERE ET COUPE (Clapas, 1997)
1
Fenêtre. N'être feu qu'en ce choc
des silex géniteurs d'incendie. Naître feu de ses propres cendres. Feue la peur
de descendre au profond des caveaux, y porter l'étincelle. Faune être à la
seconde à jamais pétrifié en ce geste à la fois naturel et sublime d'un joueur
de flûte magicienne, mué en musique de marbre, danse que l’œil écoute et
emporte au travers de l'oubli comme ces souvenirs de femme à la fenêtre.
2
Cuisine au cœur de nos demeures.
Ustensiles offerts, mobilier ouvragé, ceux qui joignent au mieux l’utile à
l’agréable, qui magnifient le nécessaire. Passagers du possible. Messagers du
solide. Présents de mariage ou menus cadeaux, qui peu à peu ajoutent leur
présence, et le génie des choses qu’on nettoie, qu’on manie, aux forces des
murs nus et de l’indispensable. Les revoir émerveille, les citer ensoleille :
cuivre de la bassine et de la lampe à huile, cruches, potiches et napperon
assorti aux rideaux, que le crochet fit dessin et dentelles, huche et couverts,
horloge et banc, autour du vaisselier, album de contes de l’enfance où le delft, le limoges racontent les joies ménagères, les
idylles bergères, les grâces bocagères ; une arche d’alliance, une terre
promise. Magie du culinaire, pour l’œil et la narine, plaisir complet de la
pupille à la papille. Sommet de l’art du périssable et cependant vital :
deux jours de soins, marinade ou pâté, pour qu’ils l’engloutissent, ce
chef-d’œuvre unique, en quelques coups de mandibules ! Le travail, les
trouvailles, pour le retour, les retrouvailles, le bonheur des convives. Et
qu’on vive, on festoie, naissances ou fiançailles, jusqu’aux funérailles, après
les devoirs, les honneurs dus à la défunte, au mort, pour que la vie ne
s’effraie pas d’apprendre qu’elle n’est, toute balance faite, qu’un sursis, une
impasse.
III
INEDITS
1
Le
gong de la lune
que
bat une branche d’orme
reste
silencieux.
2
Chevelure
et barbe
au
vent finir en Merlin
le
désenchanteur.
3
Mère
des chenilles
elle
en vit mal et la soie
n’est
jamais pour elle.
4
Fesse
et vulve au vent
elle
est nue. Son innocence
la
jument s’en vêt.
5
Lecteur
de vieux contes
l’enfant
voit des loups partout
à
la nuit tombée.
6
Je
n’ai pas tout compris
dieu
l’art la poésie
d’eux
cependant je pris
soin
sans me pavaner
dans
l’obscure cellule
de mon lavauratoire.