Dans chaque numéro des notes de lectures vous informent sur l'actualité littéraire. A titre d'exemple voici quatre de celles rédigées par Emmanuel Hiriart pour le numéro 20

Jacques Lovichi, Post scriptum post mortem,Encres vives 268, 20p, 40F
A l'heure où le cherche-midi réédite en un volume (les derniers retranchements) l'essentiel de son œuvre, Jacques Lovichi publie dans le 268eme cahier de la revue encres vives deux suites de poèmes qui constituent, dit-il, une sorte de post-scriptum à son œuvre. « On pourrait tout aussi bien dire un post mortem tant il est vrai que l'homme généralement survit au poète » Marseillaises est un hommage à la cité phocéenne, et aux marseillais, auxquels sont dédiés ces poèmes. Au delà/ non lieu, élégie d'octobre est une suite de sept textes en prose, et une phrase unique dont les points virgules (parfois triples) suspendent le mouvement jusqu'au point de suspension final (?). Plus de lieu ici où s'enraciner : c'est la langue qui nous accueille, en ce point silencieux où s'annule « l'enfer du décor ». Curieux endroit où résonnent « les rires gras des faux prophètes », où se forme le cri primitif qui « suscite » le lieu. Dehors c'est toujours la mort. Entre Marseille et ce « non lieu », entre la forme et le vide, une tension. Ces deux ensembles « qui sont peut-être l'alpha et l'oméga de l'oeuvre » sont les deux faces d'une manière, poétique, d'habiter le monde, au delà de l'écriture et de la mort.

Gérard Bocholier, la veille, l'estocade, 76 p, 60F
Le dernier livre de Gérard Bocholier est une veille tendue, une « étoile de glace », pour faire face à la nuit montante de la mort. Il serait plus facile, peut-être, de se laisser aller au sommeil, si seulement il voulait venir. Le désir est là, qui s'y oppose : « plus fort que la herse » [il] « creuse des stries dans la poussière/ toujours plus épaisse ». Rien n'est plus certain que la présence de la mort, que la deuxième partie du recueil rend presque palpable. Elle semble quotidienne et vaguement routinière, inévitable et lente ; elle est « Peut être seulement ce chiffon de pluie/ Pendu à la grille/ Que la nuit a laissé goutter/ Près de la chambre du fils ». Les poèmes sont courts, les vers brefs. L'anecdote qui sans doute les a suscités en est absente, par pudeur, mais aussi par nécessité : il s'agit pour eux d'échapper à la finitude ordinaire. Ils sont souvent extrêmement denses, exigent un effort du lecteur qui veut les voir s'incarner. Ils disent que peut-être la mort n'est pas une défaite. On peut espérer « l'ultime retrait/ où s'éteindre ne signifie/ qu'être confondu de lumière/ avec la boue ». Celui que son travail dans la langue garde éveillé croit parfois voir percer l'aube sous les voiles de la nuit : « C'est quand le paysage s'arrête/ que tu déchires son portrait/ juste avant l'aube ». Pourtant le matin n'est pas là. Au plus froid de la nuit il faut se contenter d' « une cicatrice bleutée », d'un « souffle enfant ». Écrire encore, et, sans tricher, garder ouvertes les lèvres de la plaie.

Joël Bastard, Beule, gallimard, 109p, 90f
Joël Bastard nous propose un voyage immobile à petits pas de poèmes en prose. Le point de départ est la Beule, pays forestier, parcouru de sangliers opiniâtres qui strient la terre et les phrases de leurs vermillis. Ici la syntaxe est volontiers heurtée, les images inattendues, la progression difficile. Quelques poètes (Guillevic, Lorca, la Fontaine) passent entre les branches. On les tutoie. C'est un pays âpre comme sa bête noire, qui déchire les certitudes : « Tu téléphones à l'aube et c'est le gouffre qui décroche». Vient le moment de partir et d'approcher le « sans borne » au delà (en deçà ?) des formes. Cet état que désigne, dans la tradition de la littérature religieuse apophatique, une négation, peut également être approché par le jeu des images : on le voit dans « le ciel toujours le ciel », mais aussi la mer où les voyageurs sont « sur Terre dans le ciel ». On peut aussi mobiliser de très anciens souvenirs : « L'enfant dans le sans borne est occupé à rire. A jouer aux osselets. A taper du front dans les seins de sa mère ». Pourtant « rien à faire, je ne décolle pas » : trop terrien le voyageur ne peut échapper au « plafond », et revient sur terre. Les mains vides ? Peut-être pas : sa vision est plus ouverte ; il sait désormais que « les fleurs sont pour les insectes », et non pour sa délectation.

Expérience spirituelle expérience poétique chez Pierre Reverdy, Yves Cosson, Clapas, coll tiré à part 19p 20F
Ce fascicule reproduit le texte d'une conférence donnée par Y Cosson, professeur honoraire de la faculté de Nantes, à l'occasion du centenaire de la naissance de Reverdy. En quelques pages claires et rigoureuses, l'auteur évoque la spiritualité de celui qui fut l'un des poètes les plus exigeants et les plus novateurs du siècle dernier (déjà...). La poésie est chez lui l'un des aspects de la quête spirituelle et peut-être le symptôme de son échec. Tentative pour humaniser, par l'opération d'une cristallisation spirituelle, un monde extérieur perçu comme hostile, elle n'est pas parvenue à apaiser Reverdy. Double artificiel du monde, elle ne parvient pas à le vivifier, reste une étrangère sur terre. Max Jacob conduit Reverdy à se tourner vers l'Eglise catholique, mais elle ne permet pas non plus au poète de vaincre son inquiétude. La déception suit rapidement la conversion. Il reste de cette aventure intérieure douloureuse une réussite, l'œuvre poétique, attente lucide et désespérée.